Booba – Petit Eloge de la Mégalomanie Quotidienne
Vendredi, 04 Décembre 2009
Le trottoir du boulevard de Rochechouart succombe sous des hordes de fans massés et contenus le long d’une file interminable. Résignés mais conscients que leur salut viendra de la patience, chacun essuie avec stoïcisme la pluie infâme qui souille le pavé, dans l’attente de la fouille au corps prolongée qui aura valeur de sésame. Du côté de l’entrée des nantis VIP, la situation est à peu près aussi désespérante. Une bonne cinquantaine d’individus sans ticket, de ceux qui vendraient père et mère pour pénétrer dans l’enceinte, organisent un forcing éminemment voué à l’échec. L’option judicieuse consistera donc à passer l’heure restante de la première partie, à se pinter dans le bar à côté, au chaud, plutôt que de passer la durée de l’Autopsie Show à sécher comme une merde.
Une heure plus tard, casquette à la ricaine vissée sur le crâne, lunettes de soleil agencées sous la visière et serviette nonchalamment déposée sur les épaules, le rappeur boxeur apparaît serein et souverain sur la scène d’une Cigale arborant l’allure d’une arène au bord de l’implosion. Les hurlements aigus émanant de l’impressionnant contingent de jeunes femmes pullulant dans tous les recoins de la salle confinent à l’hystérie. Les premières rimes distillées par l’auto-proclamé Duc de Boulogne ont entraîné la salle dans un vortex dont elle ne s’extirpera qu’au cours des interludes où les quelques invités – que personne ne semble vouloir entendre mais qui seront l’excuse renouvelée à chaque détour au bar – viendront donner toute leur dimension morbide aux grandes lettres tracées sur le mur surplombant la scène, pour former le mot Autopsie. La balance a manifestement été faite n’importe comment, les basses saturées résonnent de manière bien trop violente, mais l’armada de mecs qui filment avec leurs téléphones autant qu’ils se délectent du concert, n’en a simplement rien à cirer. Incessants, les hurlements féminins continuent de se faire entendre et la foule est même prise d’un spasme orgasmique incontrôlé au moment où un soutien-gorge atterrit sur la scène en guise d’offrande sexuelle.
Sur la majorité des morceaux, le public chante sur toute la longueur des titres et partage en définitive l’affiche. Les coupures récurrentes de microphone et de beat permettent à la clameur populaire d'envahir l’espace avec brutalité. L’alchimie qui flotte dans la salle au rythme d’un drapeau du Sénégal jeté depuis les gradins est surprenante à bien des égards. Les pire cailleras sont attendries et récitent les rimes de Bédeuzobéa tels des sonnets appris avec fluidité à l'école et déclamés des milliers de fois depuis. Sans relâche. L’intensité de la moiteur brûlante qui a inondé la Cigale est à la hauteur de la mégalomanie du rappeur. Bouteille de Jack greffée dans la main, attitude démesurément assurée, Booba enchaîne les chansons – parfois sans les finir – alpague avec virulence le public et lui reproche de ne pas chanter assez fort sur des titres dont il revendique haut et fort ne pas connaître les paroles. Qu’à cela ne tienne, ce public qui l’a érigé en Dieu du bitume se moque bien de ce play-back assumé. Jack en main toujours, apologie de la thune, hystérie collective et assurance à toute épreuve, Booba incarne simplement le Johnny Hallyday contemporain d’une frange de cette génération Y teintée aux couleurs de la banlieue parisienne.
Par Loïc H. Rechi // Photo: Marco Dos Santos.
Négro,tout est dit
